Au Québec, une des premières propositions d’institutionnalisation de la justice participative se retrouve dans le « Livre blanc » du ministre Jérôme Choquette, publié en 1975[i]. Il y est proposé, entre autres, d’utiliser davantage de processus participatifs pour combler des lacunes dans l’administration judiciaire[ii]. Dès lors, commence, par souci d’améliorer l’accès à la justice, les pressions pour intégrer des alternatives au système contradictoire traditionnel. On y voit une manière plus humaine, moins chère et plus rapide de régler des différends. Une des premières expériences des tribunaux avec la médiation a eu lieu à l’occasion d’un projet pilote mené de 1995 à 1998 à la Cour supérieure. Or, ce n’est qu’en 2015 que se concrétise une véritable institutionnalisation de la justice participative avec le nouveau Code de procédure civile. Il n’aura fallu que quarante ans pour intégrer l’innovation.
En 2011, le gouvernement du Québec a annoncé d’imposantes mesures, un investissement total de 450 millions, pour soutenir et encourager l’entrepreneuriat dans la société québécoise. Cependant, l’entrepreneuriat en droit reste à un niveau embryonnaire. Le Québec accuse un retard important : aux États-Unis, un demi-milliard a été investi dans des start-ups en droit. Des entreprises étrangères commencent à s’implanter sur le marché québécois. Malheureusement, très peu d’entreprises d’ici sont positionnées pour demeurer compétitives avec ces dernières.
Les nombreux rapports sur l’accès à la justice ont amené des clarifications significatives. Ils ont proposé des solutions d’innovation intéressantes. Cependant, les recommandations restent vagues et peu de mesures concrètes ont été mises sur pied à grande échelle. De grands principes sont énoncés en souhaitant qu’un « changement de culture » s’opère. Seulement, un « changement de culture » est un résultat et non un moyen; des mesures concrètes doivent être implantées pour mener à ce résultat.
Les juristes étant formés et travaillant tous les jours à construire des argumentations. Ils ont une pensée conceptuelle aiguisée qui s’avère nécessaire vu la nature du travail. Le juriste utilise une méthode qui se penche sur comment les choses sont faites et non si les conséquences sont optimisées. C’est malheureusement pourquoi il n’est pas bien outillé pour opérer un changement systémique et promouvoir l’innovation. Par exemple, un juriste pourrait réfléchir à comment rendre plus cohérente et efficace le témoignage d’expert, mais il ne va que rarement réfléchir aux effets sur le flux dans le système de justice. Au point où nous en sommes, les changements nécessaires ne sont pas des petits ajustements sur les concepts et procédures.
Pour redonner accès à la justice à la population, il faut repenser comment elle est offerte. Nous devons regarder à l’extérieur des concepts actuels et outrepasser la pensée juridique. C’est pourquoi, nous proposons que ceci explique la lenteur de l’innovation dans le monde juridique.
Plutôt que d’opérer un changement de culture vague, nous proposons d’implanter un écosystème qui instaure une culture du changement au sein de la profession. Nous croyons qu’il est important de mettre en place les structures et outils pour créer une grappe industrielle de « legal tech » favorisant l’innovation. Aussi, nous proposons que des structures soient mises en place pour réfléchir aux modèles d’affaires dans le monde juridique. La technologie et la « business » du droit n’est pas enseignée dans nos universités ni au Barreau. Toutefois, il n’existe aucune institution pour coordonner et encourager l’entreprenariat, l’innovation et l’investissement dans ces domaines. Sans ces outils concrets, nous croyons que le changement va continuer de s’opérer… lentement.
Toutefois, malgré la lenteur de l’innovation juridique au Canada, ailleurs dans le monde des changements se font sentir. Les effets sur l’accès à la justice sont probants. Ils annoncent des transformations importantes dans la manière d’offrir et de consommer les services juridiques. Ainsi, des entreprises innovantes automatisent des processus, utilisent des modèles d’affaires innovants et transforment l’offre de service. Au lieu de se concentrer sur l’ajustements des concepts juridiques, ces entrepreneurs se concentrent sur la transformation de la nature des services offerts. Directement ou indirectement, ils démontrent que l’innovation permet l’avènement d’une justice moins chère et plus rapide.
Toutefois, ces innovations vont inévitablement améliorer l’accès à la justice pour le public. Ainsi, deux questionnements découlent alors de cette situation. Le premier est à savoir si nous, comme société, sommes ouverts à ce changement et prêts à l’intégrer rapidement. Le deuxième est à savoir si nous voulons mettre en place les outils nécessaires pour que notre société soit une des places où s’initie ce changement. Voulons-nous outiller nos juristes pour qu’ils soient des acteurs de changement ou allons-nous attendre de subir un changement qui proviendra de l’étranger?
Également, par la création de ce blogue, nous voulons encourager la dissémination d’informations sur les solutions innovantes. Également, nous voulons inciter l’échange d’idées, car c’est par ce processus que s’opère la culture du changement. Dans cette optique, nous vous invitons à proposer des articles pour le présent blogue.
[i] Jérôme Choquette (ancien ministre de la Justice du Québec), La Justice contemporaine : Livre blanc du ministère de la Justice, Québec, Éditeur officiel du Québec, 1975.
[ii] Marie-José Longtin, « La réforme de la justice administrative: genèse, fondements et réalités » dans Barreau du Québec, Développements récents en droit administratif (1998), Service de la formation permanente, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1998 à la p. 101.